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«Tariq Ramadan aurait préféré être diabolisé»

Tariq Ramadan. Contesté, il ne serait pas dangereux selon Ian Hamel. Keystone

Une récente biographie, publiée en Suisse et consacrée à l'intellectuel musulman genevois, balaie l'hypothèse de liens entre celui-ci et les réseaux islamo-terroristes.

D’après son auteur, le journaliste indépendant Ian Hamel, ses conclusions nuancées expliquent le refus de publication auquel il s’est heurté en France.


Cela devait être Flammarion, à Paris. Cela a finalement été les éditions Favre, à Lausanne. Après deux ans d’enquête sur la figure contestée de Tariq Ramadan, Ian Hamel a dû faire imprimer son manuscrit par un autre éditeur que celui prévu au départ.

Parlant de «censure», il évoque l’influence qu’ont selon lui en France les tenants de l’idée de «danger islamique».

swissinfo: Comment expliquez-vous les difficultés rencontrées lors de la publication à laquelle s’était pourtant engagé Flammarion?

I.H.: La parution était prévue pour l’automne 2005. Or le manuscrit a été bloqué durant des mois. J’ai finalement envoyé une lettre recommandée pour savoir ce qui en était.

On m’a alors expliqué qu’on attendait un livre prouvant des liens entre Tariq Ramadan et la mouvance terroriste, ce qui n’était pas le cas de mon ouvrage puisqu’après un an d’enquête, j’en étais arrivé à la conclusion que ces liens n’existent pas.

swissinfo: Vous évoquez des pressions sur certains de vos interlocuteurs qui, à l’origine, vous avaient parlé positivement de Tariq Ramadan…

I.H.: Flammarion a fait lire mon manuscrit à plusieurs personnes, ce qui est la démarche normale. Mais la plupart d’entre elles se sont révélées être peu favorables à Tariq Ramadan. Elles ont apparemment découragé Flammarion de publier un livre où il serait dit du bien de lui.

Je ne sais pas si Flammarion a cédé à des pressions. En tous les cas, j’ai d’eux une lettre de six pages où ils me reprochent de ne pas avoir pu prouver la culpabilité de Ramadan en ce qui concerne notamment la formation de terroristes.

swissinfo: Le contexte est-il différent en France et en Suisse eu égard à tout ce qui a trait de près ou de loin à l’islam et à l’islamisme?

I.H.: Je le pense. En Suisse, on peut parler à peu près raisonnablement de Ramadan. En France, on a vraiment l’impression qu’on l’a placé dans une catégorie – celle des gens dangereux susceptibles d’avoir des liens avec Al-Qaïda. Personne ne tient à sortir de ce schéma.

swissinfo: Or vous êtes formel, Ramadan n’est pas un danger pour la démocratie. Quant aux liens avec certains mouvements terroristes pourtant mis en exergue dans les précédentes enquêtes qui lui sont consacrées, vous les réfutez.

I.H.: Ces enquêtes citent toujours les ‘services secrets’, sans jamais plus de précision. J’ai pour ma part eu plusieurs entretiens avec des responsables de ces services en Suisse et en France, et aucun n’a de preuve. S’il y en avait, la famille Ramadan aurait été expulsée de Suisse.

swissinfo: Autre critique souvent évoquée, celle du ‘double langage’ que tiendrait Tariq Ramadan. Celle-ci n’est-elle pas justifiée?

Les gens qui accusent Tariq Ramadan d’avoir un double discours ne précisent jamais quand exactement il aurait par exemple encouragé des jeunes enclins au terrorisme à suivre cette pente. Selon eux, il existe des cassettes, mais je ne les ai jamais trouvées!

En fait, je préfère parler de ‘grand écart’ plutôt que de ‘double langage’. Il est vrai que c’est un personnage assez curieux dans la mesure où il est à la fois ultra-conservateur, pour ne pas dire réactionnaire dans certains domaines, et ultra-progressiste dans d’autres.

Comme il cherche à séduire tout le monde – des Frères musulmans aux trotskistes – il est contraint à d’incroyables contorsions verbales. Mais honnêtement, je ne pense pas qu’il soit dangereux pour la démocratie européenne.

swissinfo: Le quotidien Charlie Hebdo est en procès pour avoir reproduit les caricatures danoises de Mahomet. Tout en déclarant qu’il n’aurait pas entamé de procédure judiciaire, Ramadan parle tout de même de ‘provocation’. N’est-ce pas là qu’on voit les limites de sa conception de la démocratie?

I.H.: Tout à fait. Cela me rappelle sa position dans l’affaire Rushdie. Tariq Ramadan s’était prononcé contre la fatwa exigeant la mort de l’écrivain, mais il avait estimé que ses livres devaient paraître avec un encart signalant la désapprobation des musulmans.

swissinfo: La presse a qualifié votre ouvrage de ‘complaisant’. Comment recevez-vous cette critique?

I.H.: Je ne pense pas avoir été complaisant vis-à-vis de Tariq Ramadan. D’ailleurs un certain nombre de choses doivent lui déplaire, notamment au sujet de sa thèse universitaire.

swissinfo: Connaissez-vous sa réaction suite à la publication?

I.H.: Le livre ne lui a pas plu. C’est un intellectuel qui a énormément de mal à accepter la critique. Il n’apprécie donc guère d’être présenté comme Monsieur-tout-le-monde. A la limite, il préfère être diabolisé et passer ainsi en une des journaux.

Né à Genève en 1962, Tariq Ramadan est le petit-fils de l’Egyptien Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans.

Invité de nombreux débats télévisés, il est régulièrement accusé d’entretenir des liens avec les islamistes les plus radicaux. En 1995, la France l’avait interdit d’entrée avant de reconnaître qu’aucune charge ne pesait contre lui.

Tariq Ramadan a exercé dans plusieurs universités. En 2004, les Etats-Unis lui ont refusé un visa, ce qui l’a empêché d’occuper une chaire dans l’Indiana. En 2005, Tony Blair l’a nommé dans une commission chargée d’enrayer l’extrémisme islamique.

Populaire parmi les musulmans d’Europe, Tariq Ramadan est interdit d’entrée en Arabie saoudite, en Egypte et en Tunisie.

«Deux ans d’enquête m’ont convaincu que Tariq Ramadan ne tenait pas de double discours. Ce qui ne veut pas dire que sa pensée ne pose pas de problème! […] Si l’intellectuel genevois défend une culture ‘islamique française et européenne’, il refuse en revanche tout islam ‘adapté’».

«Selon une enquête des renseignements généraux, les salafistes dans les banlieues françaises ne se gêneraient pas pour qualifier Tariq Ramadan de ‘vendu'[…]».

«On l’aura compris, loin de chercher à combattre la société occidentale, comme le prétendent les enquêtes à sensation, Tariq Ramadan veut, au contraire, y prendre sa place […]. Avec la conviction que si l’Occident a changé l’islam, l’islam, à son tour, va changer l’Occident».

‘La vérité sur Tariq Ramadan. Sa famille, ses réseaux, sa stratégie’, Ian Hamel, Favre, 2007

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